Les années orphelines 1968-1978
Cote : GUIL
Dix ans, camarade ! Trois plis de plus au coin de l’œil… As-tu pris du ventre, une femme légitime et une carte du CERES pour attendre, d’un congrès à l’autre, le jour béni des 51 % ? As-tu lâché depuis longtemps nos pavés de Gay-Lussac pour empoigner une bêche écologique du côté de La Voulte (Ardèche) ? Désabusé, mais surveillant quand même avec une gravité patiente, tes agnelages de février et la prochaine lutte finale… As-tu, militant acharné, scissionniste dans l’âme, navigué en zigzag de la Gauche prolétarienne au Secours rouge, de Vive la Révolution aux Amis de la Terre ? Emmitouflé dans la tiédeur fraternelle des groupuscules, gueulard gonflé de toutes les manifs; pilier méchant de la Mutualité; adolescent poivre et sel, orphelin déjà… Et puis — suis-je naïf ? Mais ce lourd soupçon qui s’évapore laisse aussi renaître entre nous une sorte de chaleur « conviviale » qu’empêchaient jadis les haines de chapelle. Mieux qu’une chaleur même — osons lâcher le mot — une tendresse, voilà tout ! En déambulant maintenant des librairies parallèles aux journaux « pirates », dans les mille recoins de la nouvelle « marginalité », en lisant parfois les annonces de Libé, c’est bien elle qui crève les yeux : une tendresse qui ose enfin… Voici dix ans, nous parlions sans arrêt de porter l’imagination au pouvoir. Est-ce le moment de pleurnicher parce que devant nous — enfin — la page est blanche ? Jean-Claude Guillebaud. Né en 1944. Dix ans de grands reportages à travers le monde pour Sud-Ouest, puis pour le Monde. Correspondant de guerre au Biafra, au Vietnam, au Laos, au Pakistan, en Israël. A relaté la guerre du Kippour dans les Jours terribles d’Israël (Le Seuil, 1974) et dénoncé les nostalgies coloniales françaises dans les Confettis de l’Empire (Le Seuil, 1976), prix Albert, Londres, 1972. Aujourd’hui (1978) coresponsable du département tiers monde au service de politique étrangère au Monde.
GUILLEBAUD Jean-Claude
1978
20,5 X 14 cm, 112 p.
Seuil