Pensées politiques de Thomas Piketty
Alain Bihr et Michel Husson, deux universitaires retraités, militants de longue date de la « gauche de la gauche », ont publié une critique des thèses de Thomas Piketty sous le titre Thomas Piketty, une critique illusoire du capital1. Ils confrontent naturellement Piketty à Marx, et reprochent à Piketty de placer les sources des inégalités dans les idéologies, et non dans la structure sociale. Pour eux, le livre aurait dû s’appeler Inégalités et idéologie.
C’est évidemment un faux procès. Dans l’introduction à son Capital au XXIe siècle, Piketty annonce parfaitement la couleur : ce sont les patrimoines qui l’intéressent. Capital n’est pas une marque déposée. Son sens le plus ancien, aux origines de l’économie politique, est celui de « qui peut produire un revenu ». C’est Adam Smith, dans le lent cheminement de sa Richesse des nations, qui va lui donner une signification plus précise, celle de « ce qui permet de mettre des gens au travail ». Et il finira par cette trouvaille fondamentale : « L’industrie [c'est-à-dire la production, au sens large] de la société ne peut augmenter qu’autant que son capital augmente. » On verra que ce n’est pas du tout le sujet de Piketty. La passion – éminemment platonique – de Thomas Piketty, c’est la redistribution ; et le domaine où ses connaissances sont difficilement contestables, c’est la fiscalité2. D’où l’envie de mettre la deuxième au service de la première.
Comme l’explique Piketty, pour situer Capital et idéologie, il faut revenir au Capitalisme au XXIe siècle. Le sujet de celui-ci est simple : au cours des 40 dernières années, les inégalités de patrimoine dans nos sociétés sont revenues au niveau de ce qu’elles étaient avant la Première Guerre mondiale. Les deux guerres mondiales, l’inflation qui les a suivies et la crise de 1929 les avaient réduites. Piketty explique cette remontée de la façon suivante : le taux de rendement des patrimoines (immobiliers, financiers) est supérieur au taux de croissance de la production (celle-ci mesurée par le produit intérieur brut, PIB). Les détenteurs des plus gros patrimoines n’en perçoivent en général que les revenus qu’ils veulent consommer, donc une partie minime de ceux-ci. Deux conséquences : la première, c’est que ces revenus ainsi capitalisés échappent à l’impôt sur le revenu ; la seconde est que, ainsi réinvestis, ils accroissent la concentration du capital. En outre, la concurrence fiscale internationale a tiré fortement vers le bas l’impôt sur les bénéfices et sur les revenus financiers